Accord de partenariat SKEMA/CoP-1. Discours prévu pour le 4 avril 2018
Le 4 avril à l’occasion de la signature de l’accord de partenariat SKEMA/CoP-1, j’avais prévu un discours, que je n’ai pas pu faire. J’ai dû le résumer grosso-modo et sans notes. Mais voilà ce que je voulais dire:
« Madame la Directrice
Mesdames et Messieurs les professeurs
Chers amis de CoP-1
Mesdames et Messieurs,
La table ronde qui vient d’avoir lieu me ramène à l’origine-même de la communauté CoP-1. J’avais accepté en 2002 de prendre la responsabilité du premier programme de management des connaissances de Schneider Electric, centré sur les communautés de technico-commerciaux. Je cherchais en France l’équivalent de ce que j’avais connu aux Etats-Unis dans différentes sociétés professionnelles, qui pensaient à juste titre qu’Internet allait changer non seulement la façon d’automatiser les processus de l’entreprise, mais aussi et surtout la façon d’apprendre et de collaborer. C’était notamment le cas de l’IKO, l’Institute for the Knowledge Organization, fondé par IBM et le MIT, qui était une communauté de praticiens du Knowledge Management sous la houlette de Larry Prusak, actuellement professeur à Columbia. L’IKO réunissait tous les trimestres pendant deux jours des responsables de programmes de Knowledge Management de grandes organisations – l’US Navy et la CIA en faisaient partie, à côté d’Exxon ou de Cisco – pour partager des expériences et donner du grain à moudre à des chercheurs. C’était passionnant. Nous étions tous convaincus d’être à l’aube d’un grand changement dans l’art du management, qui donnerait beaucoup plus de place à l’intelligence collective et un peu moins aux processus.
Je lisais beaucoup de livres sur le management des connaissances à cette époque, et celui qui m’a le plus marqué est « Power to the Edge » de David Alberts, publié par le département de la défense en 2002. Alberts y exposait l’évolution probable de l’organisation des forces armées lorsque l’information et la connaissance partagées deviendraient une arme. On trouvait déjà dans ce concept de NCW (Network Centric Warfare) presque tout ce que les prophètes de la transformation numérique nous exposent aujourd’hui : l’avènement des plates-formes de collaboration – en l’occurrence les systèmes d’information tactiques – qui deviennent en quelque sort le système d’exploitation des forces armées, et leurs conséquences organisationnelles : écrasement des hiérarchies, autonomie renforcée, unités plus petites et plus agiles privilégiant la capacité d’adaptation à l’exécution stricte d’un plan défini par l’Etat-Major, etc.
La conclusion de ce livre précisait que ce changement de doctrine de commandement n’était possible qu’à quatre conditions.
La première, c’était que l’intention du commandant en chef devait être très claire. Si on ne savait pas très bien comment on allait gagner la bataille, il fallait que tout le monde sache précisément quel était le but à atteindre. La seconde, c’était que toutes les forces engagées devaient pouvoir partager en temps réel la connaissance de la situation du théâtre des opérations (« shared situation awareness »). La troisième, c’était que les soldats devaient être très bien formés à la diversité des situations auxquelles ils pourraient faire face : combattre, mais aussi secourir, mettre en place une autorité politique, organiser des élections… La dernière, et peut-être la plus difficile, était la confiance : confiance dans la chaine hiérarchique bien sûr, mais aussi et surtout dans la qualité de l’information mise en commun et des avis que l’on reçoit de ses pairs.
Tout cela est très difficile à mettre en œuvre, et impose une réflexion profonde sur la nature-même du commandement : il ne s’agit plus de remonter l’information et de redescendre des ordres, mais de fixer l’objectif à atteindre et de mettre en place ce qui permet aux équipes d’être autonomes et de se coordonner pour atteindre cet objectif.
Il y avait pour moi un parallèle évident et avant-gardiste avec le monde de l’entreprise. Je voyais là un vaste chantier de modernisation, qui passait nécessairement par le développement volontariste des communautés via les plates-formes de collaboration.
CoP-1 est né de cette croyance partagée avec quelques personnes engagées comme moi dans des programmes de KM, et qu’un consultant de Knowledge Consult, Denis Meingan, m’avait fait rencontrer en 2002 : Elisabeth Bila d’Euriware, Jean-Jacques Régnier du CNES, Jean-Claude Hujeux de Schlumberger, René Peltier d’Airbus, Nicolas Rolland d’Engie (à l’époque SKEMA à Sophia), Pierre Prével du Crédit Agricole, Eric Juin de Bouygues Construction… Certains fondateurs sont encore dans cette salle comme Christophe Binot de Total et Aurélie Dudezert de Centrale Paris. Et nous avons décidé ensemble de fonder la communauté CoP-1. Pour ceux qui se demandent ce qui nous a pris d’appeler ça CoP-1 doivent savoir qu’en 2003, personne de parlait de la COP 21. CoP-1 était un jeu de mot. CoP signifiait Community of Practice, et comme il n’y avait pas deux, comme Lapeyre (Saint-Gobain est représenté dans CoP-1), nous l’avons affublée du chiffre 1. Et le tout sonnait bien, d’autant que nous ne pensions pas que ça durerait 15 ans.
Les activités de CoP-1 se sont inspirées de celles de l’IKO. Nous sommes partis de l’idée d’une revue par les pairs des projets de management des connaissances portés par chacun d’entre nous, nous avons organisé des réunions thématiques et des visites de site, nous nous sommes invités mutuellement à témoigner de notre retour d’expérience dans nos entreprises, nous avons partagé une veille commune sur les outils, invité des experts à nous enseigner, et organisé des rencontres annuelles élargies sur des thèmes que nous pensions mieux maîtriser. Et nous avons essayé avec plus ou moins de bonheur de capitaliser tout cela dans des publications et des revues.
Quinze ans plus tard, le canard est encore vivant. Les membres ont changé ; nous avons traversé l’époque des blogs, de l’entreprise 2.0, des hackatons et de la transformation digitale en y apportant notre coloration communautaire. Les sujets traités en réunion se sont adaptés aux nouvelles plates-formes de collaboration que nous utilisons nous-mêmes couramment : Linked In, Youtube, Whatsapp, Box, et notre site web CoP-1.net.
Et puis il y a aujourd’hui le 4 Avril 2018, quinze ans après, cet accord de partenariat avec SKEMA. Il représente pour nous à la fois une chance, celle d’avoir à nos côtés des professeurs et des chercheurs sur ces sujets qui nous passionnent, mais aussi une exigence, celle d’être plus visibles et plus professionnels dans notre pratique, et donc de nous renouveler et de nous transformer.
Qu’il me soit permis ici de remercier Alice Guilhon, Laurence Descos, et Aurore Haas de leur confiance. J’espère que nous serons à la hauteur de leurs attentes, et que notre partenariat nous permettra à tous d’avancer dans cet art du management, qu’il faut sans cesse réinventer via la technologie.
Réussirons-nous ? Qui le sait ? Mais qu’il me soit permis de terminer par une citation militaire de Napoléon sur l’art de la bataille, et qui rappelle notre table ronde sur l’agilité : « On s’engage et puis on voit ».
Merci de votre attention, et à nouveau de votre confiance. »