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Vers un KM sans effort?

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Vers un KM sans effort?

Réflexions consécutives à la rencontre CoP-1 du 24 Novembre 2022

1       Introduction

Quand on est en charge d’un programme de knowledge management, on est régulièrement amené à rendre compte de l’efficacité du système KM qu’on est en train de mettre en place et qui coute cher, en particulier au moment des exercices budgétaires. On est alors parfois un peu gêné pour en prouver le retour sur investissement. D’où l’intérêt de prendre le parti de la frugalité – « lean » en anglais –  ne serait-ce que pour faire preuve d’exemplarité.

La question devient alors : comment être efficace? Comment tirer le maximum des efforts que l’on déploie pour que les connaissances se partagent, pour que le savoir se diffuse? Quels sont les différents leviers dont on dispose pour bâtir un système KM efficace et pas trop cher – « cost effective » en anglais ?

2       Caractéristiques d’un KM « lean »

Quand on imagine un système KM frugal et qui ne demande pas d’effort, on se pose immédiatement la question : sans effort pour qui ? La plupart du temps, on se focalise sur les utilisateurs, les clients internes qui recherchent des connaissances pour réaliser une tâche. Il faut alors que le système KM soit centré sur l’utilisateur : facile à utiliser, intuitif, immédiat. Il faut qu’il privilégie l’autonomie, et qu’il permette de s’affranchir des distances. Bref, il faut qu’il soit centré sur le « client », défini comme étant le consommateur de savoir. Pour le back office, qui se concentrerait sur les connaissances à transmettre et sur leur mise en forme pour qu’elles deviennent consommables tout de suite, c’est une autre paire de manches. La production de savoir coute cher, et sa mise en forme se heurte souvent au problème classique de la taille de la communauté cible des consommateurs. On ne développera jamais un module de formation par immersion en réalité virtuelle pour un public de trois personnes. Si le nombre de consommateurs est élevé, alors on pourra investir.

Mais cette vision d’un système de KM avec d’un côté les sachants et de l’autres les apprenants est un peu fallacieux, car il se limite alors à la formation et aux modèles économiques associés de prestation de services.

Il y a heureusement quelques pistes de travail pour limiter les coûts de back office d’un système de KM.

3       Pistes pour un système de KM « cost effective »

3.1      Aligner les système KM sur les besoins spécifique d’un groupe particulier

Une première piste consiste à focaliser le système KM sur les besoins d’une seule population cible et d’aligner toutes ses composantes sur les objectifs qu’elle poursuit. Cela définit notamment le contexte de recours au système KM, les types et formats de contenus valorisés, leur degré de précision et d’exactitude attendus (« no data is better than bad data »), et les pratiques de KM à privilégier. Cela définit aussi indirectement les métriques utilisées, qui seront différentes si l’objectif est de gagner en productivité, de respecter ses engagements ou d’éviter des erreurs tragiques.  

C’est l’approche privilégiée par la NASA. L’objectif de son système KM est d’augmenter la probabilité de réussite des missions spatiales. Il est donc centré sur les besoins des ingénieurs dans un contexte de renouvellement des générations : retours d’expérience, revue par les pairs, mentorat. Et les contenus privilégiés sont donc les cours, les études de cas, et les fiches de retour d’expérience.

3.2      Transformer chaque acteur en producteur de savoir

Une autre piste est bien sûr de transformer chaque acteur en producteur de savoir, et de promouvoir l’engagement de tous à alimenter le système de KM. Il y a plusieurs dimensions à cela : la promotion d’une culture de l’engagement au service des autres, l’intégration de la production de nouvelles connaissances dans les processus de travail, et la rationalisation des outils et des contenus.

3.2.1       La dimension humaine

Mettre le collaborateur au centre est une approche nécessaire pour développer un sentiment d’appartenance qui pousse à l’engagement envers les autres. Quelques exemples ont été évoqués au cours de la rencontre CoP-1, comme :

  • L’identification facile des experts qui peuvent répondre à des questions difficiles
  • La mise en lumière des actualités de l’organisation sur chaque mot-clé présent dans un texte quelconque présenté à l’écran d’un collaborateur.
  • Le développement et le maintien des compétences placés au cœur de la stratégie de l’organisation, par l’inclusion de la formation dans les activités quotidiennes, et par l’établissement d’un lien fort entre connaissance et reconnaissance.
  • La mise en place de rituels, notamment sous forme de réunions autour de personnes disposant de connaissances particulières (« a day in the life of… »)
  • La narration de l’histoire de l’organisation, y compris avec ses légendes, ses mythes et son jargon.

Deux points méritent cependant une attention particulière car ils impliquent fortement les dirigeants :

  • Le premier est l’organisation volontariste de communautés, qui permettent non seulement l’entraide et la montée en compétences, mais aussi la possibilité pour les collaborateurs de se projeter dans l’avenir et de bâtir une carrière. Il s’agit donc de sortir un peu du cadre militaire de l’organisation formelle exclusivement fondée sur les organigrammes pour permettre à des groupes de s’auto-organiser autour du bien commun que constitue un savoir partagé.
  • Le deuxième est la mise en place d’une culture de la vérité, qui seule permet d’apprendre, et qui a pour effet induit d’accroitre la qualité des données. C’est difficile, bien sûr, mais il faut se convaincre de l’impossibilité de mettre en place un système de KM efficace si l’organisation est soumise à la politique et aux ambitions personnelles de quelques-uns. Lorsque tout échec engendre la recherche et la condamnation d’un « responsable », on est dans une culture d’organisation qui sait tout, et qui rejette fondamentalement l’apprentissage. La recherche de la vérité se traduit en pratique par la mise en place délibérée d’un contre-pouvoir des experts, à l’instar de l’« autorité technique » à la NASA

3.2.2       La dimension process

Intégrer les activités de KM dans les processus de travail est une deuxième approche pour accroitre l’efficacité d’un système de KM. Deux types de processus ont été particulièrement exposés dans la rencontre CoP-1

  • Le premier type concerne les processus RH d’onboarding et d’offboarding, qui matérialisent l’ensemble des activités de transfert des connaissances mises en œuvre d’une part à l’intention de nouveaux collaborateurs qui viennent d’arriver, et d’autre part en provenance de collaborateurs âgés et sur le point de partir. Pour les nouveaux arrivants, un accent particulier concerne l’ancrage culturel, qui doit notamment faire comprendre la valeur particulière que l’organisation place dans le partage des connaissances.
  • Le second type concerne les processus de management de projet, dont l’essence est comme dit Jean-Christophe Hamini du PMI Institute de « transformer la connaissance en valeur ». Cela se traduit par une attention particulière aux retours d’expérience, et aux revues par les pairs. Cela se traduit aussi par l’effort de compréhension de la valeur du projet par le chef de projet, y compris et surtout dans le non-dit, et de verbalisation de ses réflexions sous la forme des questions qu’il se pose.

3.2.3       La dimension technologique

Une troisième approche consiste à la fois à diversifier les outils de travail que sont les différentes plates-formes numériques utilisées en management des connaissances. Le principe « un outil une mission » doit être reconnu par tous et en particulier par les directions IT.  Les outils numériques ont chacun une vocation précise et l’expérience utilisateur associée, et la recherche d’un « couteau suisse », qui fait un peu de tout mais rien très bien, ne permet pas de créer un système de KM puissant et engageant. Le problème majeur des grandes organisations est le désir de standardiser les plates-formes de partage et de capitalisation du savoir sur deux ou trois offreurs, dont typiquement Microsoft ou Google, SAP et un offreur de GED, afin de réduire les coûts. Il faut parvenir à faire passer l’idée que la standardisation des outils porte plus sur leur cas d’usage (le flux) que sur le type de sauvegarde (le stock), et que cela se traduit par une grande diversité d’outils, qu’il s’agit d’intégrer le mieux possible, un peu comme une ville qui dispose de bâtiments très différents mais qui sont connectés les uns aux autres et qui ont une unité de style.

  • Les startups, qui partent d’une feuille blanche et qui commencent à s’intéresser au KM dès que leurs effectifs dépassent 200 personnes semble-t-il, ont l’avantage de pouvoir choisir les outils les plus récents, les plus intégrés et les plus avancés (Notion, Slack…). La valeur recherchée du système KM est l’accroissement de productivité par l’amélioration de la collaboration entre les employés. La mémoire y est récente.
  • Les grandes organisations partent d’un existant. Leurs connaissances ont été capitalisées au cours des âges sous différentes formes, parfois peu structurées, et souvent stockées dans des réceptacles divers dont parfois on ignore l’existence et dont on a perdu la clé. La valeur recherchée du système KM est de mobiliser le savoir acquis dans un objectif de productivité comme les startups, mais aussi et souvent dans un objectif de maîtrise des risques. Une des approches les plus efficaces en vue de susciter l’engagement des collaborateurs à alimenter les système KM est de copier en interne les plates-formes les plus populaires sur le web professionnel, et l’expérience utilisateur associée: Google, LinkedIn, YouTube, Wikipedia, StackExchange… Mais se pose alors la question de l’intégration de ces plates-formes : comment faire pour éviter qu’elles ne deviennent de nouveau silos.

3.2.4       La dimension structuration des contenus

Adopter un langage (terminologies) et des modes de classement (taxonomies) communs est une quatrième approche qui permet d’atteindre deux objectifs d’allègement de charge de travail des utilisateurs :

  • Permettre aux collaborateurs de sauter plus facilement d’un outil à un autre sans devoir apprendre une autre langue et un nouveau mode de classement des données ;
  • Permettre le développement d’applications d’intelligence artificielle permettant de répondre à des requêtes complexes en provenance de plusieurs bases de connaissances, la plus simple d’entre elle étant le moteur de recherche.

4       Conclusion

On peut faire une analogie simple entre l’entretien d’un système de KM performant et des tâches d’entretien d’un grand jardin. La meilleure approche pour en baisser les coûts, c’est d’être très bien organisé, de disposer d’un plan d’ensemble, de lieux de rangement pour les outils, et surtout d’en faire un peu tous les jours, car on sait que si on laisse le système dériver, l’entropie (infobésité) va croître, les mauvaises herbes vont se répandre. Il sera alors délaissé et il deviendra très difficile et très coûteux de reprendre l’existant, de revenir à des pratiques saines et d’attirer à nouveau des visiteurs. C’est aussi de convaincre l’entourage qui profite du jardin de ne pas se comporter seulement en consommateur, mais de participer à l’effort quotidien de son entretien en suivant les règles édictées par le jardinier en chef. C’est enfin de s’assurer que ce jardinier a bien reçu du propriétaire la double mission d’entretenir le jardin et d’en faire respecter les règles d’accès et d’usage, y compris au propriétaire lui-même, sinon personne ne le fera.

Un système KM « lean », est donc un système KM conçu avant tout comme une hygiène de vie gouvernée par des règles de gestion des biens communs:

  1. Centré sur les besoins d’un groupe identifié de personnes,
  2. Communautaire au sens où la responsabilité de sa maintenance et de la qualité des contenus au quotidien est répartie sur tous ses utilisateurs,
  3. Simple d’usage, parce qu’il est intuitif, familier ou parce qu’il est intégré aux processus et règles de fonctionnement de l’organisation
  4. Fondé sur un langage commun que les collaborateurs et les machine peuvent comprendre de la même façon (terminologie, taxonomie, ontologie)

On comprend alors pourquoi la composante centrale d’un système de KM, c’est toujours in fine une communauté organisée autour du bien commun qui est le savoir de l’organisation.

 


DATE: Nov 25, 2022
AUTHOR: MartinRD