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Attention aux métriques!

Dans les points d’avancement de mes travaux que je fais avec mon chef, Il me demande désormais régulièrement d’évaluer mon niveau d’engagement sur une échelle de 0 à 5. Cela me glace le sang.

Je considère moi aussi l’engagement des collaborateurs comme un critère primordial de réussite de l’organisation, mais il ne me viendrait pas à l’esprit d’essayer de le mesurer, pas plus que je demanderais à mon conjoint de noter sur un graphique le niveau d’amour qu’elle éprouve pour moi afin d’”objectiver” l’état de notre couple, et pouvoir engager des actions en vue de l’”optimiser”. Comme l’amour, l’engagement s’apprécie par des signes, pas par des scores.

Toute mesure est liée à une volonté de contrôle. You manage what you measure. Dans une entreprise, les mesures se justifient car on ne peut pas toujours laisser les collaborateurs décider d’eux-mêmes ce qu’il convient de faire. Travailler, c’est abandonner une part de sa liberté pour se mettre au service de quelqu’un qui vous paye. C’est donc se mettre sous son contrôle. Alors on accepte la mesure qui cadre, qui aligne, qui évalue… Mais à partir de quand tombe-t-on dans le totalitarisme déshumanisant qui rend toute capacité d’adaptation impossible et tend vers l’effondrement à terme? A partir de quand la recherche systématique de l’efficacité devient-elle monstrueuse ? Vouloir contrôler le niveau d’engagement de ses collaborateurs, c’est rechercher leur instrumentalisation complète au nom de l’efficacité, et poursuivre l’idée d’éliminer tout degré de liberté au travail. On imagine la suite. Bientôt on “objectivera” le degré d’engagement des collaborateurs par des caméras, des algorithmes de reconnaissance faciale et de l’intelligence artificielle qui regrouperont les collaborateurs en clusters d’engagement notés de 0 à 5 rien qu’en les observant. Certains en rêvent, car c’est le contrôle absolu, l’exploitation de tous les “signaux faibles”. Ce faisant ils auront dépossédé l’homme de son humanité au travail, travail commencé avec les mineurs de fond au 19e siècle, et étendu progressivement jusqu’aux managers des grandes tours en verre au 21e siècle.

Si je me suis intéressé au management des connaissances au début des années 2000, c’est précisément parce que je le percevais comme un contre-feu à cette dérive totalitaire de beaucoup d’entreprises. Le pari du KM, c’est celui de la subsidiarité et de la confiance : en donnant aux collaborateurs les moyens de traiter eux-mêmes les problèmes au plus près des clients, on croit qu’on peut réduire les risques, accroître l’engagement, et faire grandir à la fois l’entreprise et les collaborateurs. Le KM, c’est un peu moins d’ « entreprise-tableur », et un peu plus d’ « entreprise-communauté » ; un peu moins d’individualisme et de compétition interne pour les honneurs et l’argent, et un peu plus de mise en commun et de collaboration pour la réussite collective. Et cela impose de mettre la pédale douce sur le contrôle, en le limitant à l’essentiel.

Chez beaucoup de managers, le besoin de contrôle est viscéral. On le comprend, car c’est ce qui leur a permis de tenir leurs engagements et de s’élever dans la hiérarchie. Mais ce besoin peut faire perdre de vue l’objectif final du bien commun, même au sein d’une équipe chargée de promouvoir l’entreprise apprenante.

La tentation totalitaire du meilleur des mondes est toujours bien présente. Elle est en chacun de nous, et il faut apprendre à la reconnaître dans des petites choses, comme par exemple lorsqu’en réunion, on coupe court immédiatement à toute discussion qui n’est pas strictement cadrée par l’ordre du jour. Quand on part à la guerre avec l’idée d’exécuter fidèlement un plan conçu de A à Z dans les bureaux de l’Etat-Major, en général c’est un désastre.  


DATE: Juin 12, 2020
AUTHOR: MartinRD
REX des membres de CoP-1

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