Apprenance et knowledge management : vers une nouvelle culture d’apprentissage ?
Qu’est-ce que l’apprenance?
L’ »apprenance », néologisme barbare, c’est la disposition consciente à apprendre tout au long de sa vie. Une « attitude dynamique consciente à traiter des situations complexes ». C’est une traduction approximative de « learning », qui dépasse de loin la notion d’apprentissage. L’apprentissage fait appel à la capacité cérébrale, à la mémoire, alors que l’apprenance est une posture pour bâitir le futur : il s’agit de vouloir, de savoir et de pouvoir apprendre.
La capacité d’apprendre est très difficile à transmettre. Il faut des stimuli: curiosité, esprit critique, respect de l’autre, expériences, valeurs, réflexes… Le lien avec les autres est toujours au centre. Dans tout processus d’apprentissage, la communauté des pairs joue un rôle central
Apprenance individuelle
Le parcours d’apprentissage, c’est ce qui permet de passer des données à l’information, de l’information à la connaissance, et enfin de la connaissance à la compétence. C’est pourquoi on doit proposer un aller-retour entre l’expérience et la formation. Il faut mettre les apprenants dans l’inconfort. Le stimulus de l’inconfort, c’est l’erreur, et l’inconfort engendre une demande de correction. Mettre en situation d’apprendre, c’est d’abord susciter la curiosité, le questionnement, et le discernement.
L’illettrisme, c’est l’incapacité à distinguer le vrai du faux. Mais comme déterminer ce qui est vrai demande beaucoup de travail et beaucoup d’interactions, il arrive qu’on préfère se limiter à la distinction entre le bien et le mal, ce qui est plus instinctif et plus facile. C’est un des grands dangers de la société actuelle.
Apprenance collective
L’apprenance collective se fonde sur la notion de communauté et de fidélisation: une équipe, une classe, une communauté de praticiens… Elle impose un contact avec la réalité, comme toucher les verres de lunettes et aller voir ce qui se passe dans les usines chez EssilorLuxottica. Elle impose aussi de poser des questions (« à ton avis… ? ) qui doivent susciter des réponses
Apprenance organisationnelle
Une organisation apprenante n’est pas une somme d’apprentissages individuels. Une organisation n’apprend que si elle propose un projet et un chemin commun, auquel tous ses membres adhèrent. Cela impose beaucoup de créativité et de capacité à mettre l’organisation en mouvement. L’apprentissage résulte alors d’une perception partagée d’un écart entre le chemin proposé et la réalité, et d’une volonté partagée de réduire cet écart. On retrouve cette idée dans les modes d’apprentissage en simple boucle (rectifier un processus établi pour obtenir de meilleurs résultats) et en double boucle (repenser les valeurs et remettre en question les processus)
Les « pas en arrière » qui affectent la capacité d’une organisation à apprendre sont
- le raisonnement exclusivement financier, qui focalise l’attention sur la productivité et la « simple boucle »
- la bureaucratie, qui met l’accent sur le contrôle et qui transforme les employés en maillons d’une chaîne sur laquelle ils n’ont aucun pouvoir
- la toxicité qui détruit la confiance : les «cadavres dans les placards, le harcèlement, le mal-être…
Les grands changements actuels
L’accélération
Il s’agit de l’accélération de l’obsolescence des connaissances, qui se traduit par un besoin d’accélérer l’apprentissage.
Et si en plus de ce phénomène d’accélération, on ajoute la question du renouvellement des générations et de la mobilité croissante des collaborateurs, qui ne restent plus à leur poste que quelques années et changent plus facilement d’employeur, la question de la transmission des connaissances devient un enjeu stratégique majeur pour la plupart des organisations.
L’intelligence artificielle
L’IA engendre une véritable révolution pédagogique. Avant l’IA, on faisait appel à des pédagogues ou à des experts pour enseigner et accompagner les apprenants. Depuis l’apparition de l’IA générative, on peut plus facilement laisser l’apprenant se débrouiller avec ses bases de connaissances et ses « coachs virtuels » , mais on doit l’obliger régulièrement à reprendre contact avec la réalité en le mettant en relation avec d’autres apprenants, via des mises en situation concrète avec un problème à résoudre, et en l’orientant par des questions et des réponses.
Le développement de l’IA engendre une démocratisation de la pédagogie. Les formats pédagogiques sont plus riches. On passe du cours magistral à la conversation pédagogique y compris dans le travail. La réalité virtuelle permet d’élaborer des contenus transmissifs de mise en situation. On peut aussi grâce à l’IA détecter plus facilement des besoins de formation… Ainsi tout le monde peut devenir pédagogue. Le « coach virtuel » peut personnaliser la formation, accompagner pendant les cours, générer des plans de révisions, des QCM…
Il y a cependant un danger avec l’IA lorsqu’elle devient ordinaire, à savoir l’illusion qu’elle peut donner qu’on maîtrise un domaine en entretenant une confusion entre information et connaissance. Chat GPT est un outil utile pour ceux qui maîtrise leur sujet, car ils sont en mesure de critiquer et amender les réponses à leur requête. Mais c’est un outil extrêmement dangereux pour ceux qui ne maîtrisent pas leur sujet, car il peut leur donner l’illusion qu’ils le maîtrisent. Le danger réside dans l’autonomisation des plateformes qui au bout du compte décident par elles-mêmes et dont les utilisateurs deviennent incapables de challenger la véracité des productions.
Idées fortes de la conférence
L’organisation apprenante est fondées sur une hybridation de l’apprenance individuelle et collective. Plus on fait appel à l’IA, plus on a besoin de l’équilibrer par des interactions physiques et affectives entre personnes
Ainsi la dynamique des communautés est centrale dans l’apprenance collective. Non seulement une communauté crée un contexte favorable au partage d’expériences et à l’apprentissage, mais elle crée des liens entre ses membres. L’importance de ces liens interpersonnels est souvent sous-estimée par les grandes organisations qui préfèrent « diviser pour régner » en mettant l’accent sur la performance individuelle et sur le contrat dans le cadre de processus de travail plus ou moins figés. La tentation est alors de reproduire chez les travailleurs du savoir la même logique fordienne de division du travail qui prévaut dans les usines. Mais alors on n’apprend plus. En cas d’échec, on recherche le coupable et on le punit. S’il cherche à se justifier, on répond alors « je ne veux pas le savoir ». CQFD.