KM et IA Générative: quelles relations?
Contexte de l’étude
La question de la création de valeur par le KM reste posée en permanence. Il y a d’un côté les financiers, qui raisonnent « retour sur investissement » (RoI), et qui pensent contrôle et indicateurs chiffrés. Et de l’autre, il y a les sociologues, qui soulignent l’importance de la collaboration ouverte, du partage de connaissances, de l’intelligence collective et de l’apprentissage en continu, dont on peut constater l’efficacité sur le long terme, mais qu’on ne peut pas prévoir, et qu’on ne mesure donc pas le progrès jour après jour. Malgré plus de vingt ans d’existence du KM, les deux courants de pensée sont encore difficiles à réconcilier, alors qu’ils sont tous les deux légitimes.
L’arrivée de l’IA et en particulier l’IA générative (IA Gen) exacerbe le débat en raison des investissements qu’elle engendre. Les financiers exigent que les applications d’IA prouvent a priori leur valeur par le gain de temps qu’elles permettront, alors que les sociologues continuent de mettre l’accent sur leur rôle dans la transmission des connaissances et l’apprentissage (EdTech).
Un groupe de travail CoP-1 s’est réuni à plusieurs reprises pour tenter de mieux comprendre les cas d’usage de l’IA Gen dans nos organisations et de les relier aux actions KM menés actuellement par les membres de la communauté. Il est apparu assez vite que nous en sommes encore au tout début de l’aventure. Les premiers résultats des « proof of concept » de l’IA Gen peinent à prouver leur RoI auprès des contrôleurs de gestion. Aussi, beaucoup de ces premières applications se sont recentrées sur les assistants pour gagner en productivité personnelle (par exemple CoPilot de Microsoft) et dans une moindre mesure sur l’EdTech pour mieux apprendre et mieux transmettre.
Les technologies d’IA Gen
Très vite on a compris qu’il fallait entrer dans le détail des technologies mises en œuvre dans l’IA Gen : transformeurs génératifs pré-entraînés, RAG, Prompt Engineering… Ainsi, on pouvait mieux comprendre que l’IA Générative est certes une technologie très puissante, mais que son efficacité varie selon les cas d’usage. Elle est particulièrement efficace pour créer des interfaces conversationnelles (exemple : chatbots), ou pour générer des contenus de synthèse (exemples : données synthétiques, génération d’images et de vidéos). Elle l’est moins en tant qu’outil d’aide à la décision ou en tant que système de recommandation (exemple : support décisionnel, personnalisation des services), car elle présuppose que l’utilisateur connait le sujet. Et elle est peu efficace en prédiction et prévision (exemple : prévision des risques, des ventes, de la demande), car, étant de nature probabiliste et fondé sur les chiffres, elle n’interprète pas les données qu’elle consomme.
Les approches d’adoption
Les différentes approches de développement d’applications d’IA Gen ont été analysées, depuis la simple consommation d’applications sur étagère commercialisées par licence d’utilisation jusqu’à la création ex nihilo de nouveaux modèles de langage entièrement personnalisés aux données et domaines d’activité de l’organisation, en passant par les approches hybrides consistant à personnaliser des modèles existants pré-entraînés avec de nouvelles données pour intégrer des connaissances supplémentaires sur le domaine ou améliorer les performances sur des tâches spécifiques.
Exemples de cas d’usage
Ci-après un tableau de cas d’usages réels, évoqués par les membres du groupe. a chaque fois, on a tenté de les relier à des activités KM
Exemple de cas d’usage | Organisation citée | ||
Activités KM | Transmission des connaissances | Diagnostic d’interactions entre compléments alimentaires, médicaments, plantes… : précautions d’emploi, posologies etc. | ANFPPP |
Diagnostic du contenu d’un nouveau projet, évaluation de sa qualité, et rapprochement avec d’autres projets comparables | AFD | ||
Assistance à la création de modules e-learning | Framatome | ||
Aide personnalisée aux activités de révision de cours | SKEMA | ||
Conception de cursus personnalisé d’apprentissage et de formation | ANFPPP | ||
QCM automatisé | ANFPPP | ||
Partage du savoir | Design Thinking et Idéation : l’IA Gen sert à aider un groupe à réfléchir en lui rappelant ce qui existe déjà | SKEMA | |
Explicitation | Cartographie des ODD (Objectifs de Développement Durable) de plus de 230 banques et analyse des efforts et des cohérences des différentes stratégies adoptées. | AFD | |
Cartographie des connaissances : génération de mots clés à partir de CR d’interviews d’experts et proposition d’usage en indexation | Framatome | ||
CR de réunion automatique avec actions décidées et responsables | Amallte | ||
Capitalisation | Utilisation du modèle de langage Mistral pour les activités de recherche / apprentissage sur des domaines spécifiques | Ariane Group | |
Diffusion | RAG : Moteur de recherche de type Question/Réponse incluant des synthèses, des traductions, des rédactions de mail… | Framatome | |
Gouvernance | |||
Leviers KM | Personnel / Culture | Synthèse des retours utilisateurs de CoPilot | Framatome |
Gestion des contenus | Aide au classement des contenus, génération de métadonnées, de taxonomies, d’ontologies.. | Framatome | |
Processus | Synthèse automatique de retours d’expérience de projets passés, à intégrer dans le processus de gestion de projet | Framatome | |
Technologie | (IA Gen, bien sûr) | ||
Gouvernance | Cohérence et qualité des données d’apprentissage | Tous |
On voit que, si on exclut les comptes-rendus automatisés de réunions de travail qui sont probablement une des premières applications de productivité de l’IA Gen, la plupart des applications d’IA Gen citées se concentrent sur l’individu plutôt que sur le collectif, et sur l’apprentissage et sur la diffusion plutôt que sur la décision.
Responsabilités nouvelles pour les Knowledge Managers ?
Le groupe de travail a conclu de son analyse que les responsables KM auront indubitablement un rôle central pour assurer la qualité des applications d’IA Gen, car si l’IA Gen apportera une aide considérable pour :
- améliorer la structuration et la qualité des contenus de connaissance,
- faciliter la recherche et la récupération de savoirs existants,
- automatiser la capitalisation des connaissances des experts,
- proposer des parcours d’apprentissage personnalisés.
elle suscitera aussi de nouveaux sujets de gouvernance pour assurer un contrôle permanent de la qualité des données d’entrée et des connaissances générées par l’IA Gen. Et gérer les risques liés à l’utilisation de l’IAG, tout particulièrement lorsque les utilisateurs ne maîtrisent pas le sujet.
De nouvelles politiques et procédures seront donc nécessaires pour guider l’utilisation de l’IA Gen pour la gestion des connaissances. Il faudra notamment s’assurer que la production d’objets de connaissance sera validée par des facilitateurs rompus aux méthodes de REX et de production de « bonnes pratiques », et que les producteurs de savoir seront formés aux bonnes pratiques de rédaction et de classification.
Les responsables de bases de connaissances devront, encore plus que par le passé :
- retirer les doublons et les documents obsolètes : nettoyage du vrac numérique, archivage de certains docs, destruction d’autres
- revoir les droits d’accès pour ouvrir par défaut, et ne restreindre que ce qui est nécessaire de protéger
Et les responsables KM devront savoir :
- normaliser le vocabulaire, les conventions de nommage des fichiers, l’ontologie
- mettre en place des processus de mise à jour du contenu au fil de l’eau : via les communautés, les équipes projet, etc.
- publier des règles et des bonnes pratiques à destination des knowledge workers et des knowledge owners
- utiliser eux-mêmes l’IA Gen. pour aider à l’indexation des documents sur des plans de classement normalisés.